Je ne savais pas pourquoi c'était arrivé, mais c'était arrivé. Alors que je venais à peine d'avoir dix-neuf ans, j'ai sauvé la vie du prince Emerick d'Argent, ce qui a attiré l'attention de son paternel. Il vinrent donc à Zénor, à la recherche d'Élyanne de Zénor. Partout où ils allaient, ils me décrivaient, pensant que je n'étais qu'une paysanne. En effet, comme mes parents n'avaient pas prévu me marier à un quelconque prince, les familles royales du continent ignoraient mon nom. Ils savaient que les dirigeants de Zénor avaient une benjamine, mais sans plus. J'allais toujours me rappeler un soldat argentais se présentant à moi, alors que je travaillais aux champs, mes pantalons bien sales, portant une vieille tunique de mon frère Zach. Alors qu'il me disait qu'il cherchait une paysanne se prénommant Élyanne, j'avais éclaté de rire. Non seulement je n'étais pas une paysanne, mais en plus je me trouvais devant lui. Sommée devant le roi Argentais, ce fut dans ces habits que je lui fus présentée. Derrière lui se tenait l'homme dont j'étais tombée amoureuse quelques mois plus tôt, le sourire fendu jusqu'aux oreilles. Jamais je n'avais regardé le Roi ce soir là. Je m'étais contentée de regarder Emerick, le coeur battant la chamade. Cependant, ce que les Argentais ne savaient pas, c'était que Zénor ne laissait jamais partir l'une de ses filles sans être mariée. Ce soir-là, j'unis ma vie à celle d'Emerick d'Argent.
Cinq années avaient passé depuis. Le Roi s'était cruellement fait assassiner dans la Forêt Interdite, j'avais donc repris les rennes du royaume avec mon époux. Jamais je n'aurais cru un jour régner. Moi, la petite fille de Zénor qui travaillait avec les paysans aux champs depuis sa tendre enfance, j'étais désormais reine du royaume le plus distingué d'Enkidiev. Au départ, je n'étais pas à ma place. En effet, même si j'avais mis au monde trois enfants argentais, cela ne faisait pas de moi une femme argentaise. Rapidement, je fus écartée des décisions politiques, mais cela m'allait très bien. J'avais donc recommencé à être la personne que j'avais toujours été. Le matin, je me levais aux aurores afin de me rendre à la plage. J'y ramassais toutes sortes de mollusques et fruits de mer, que je ramenais au château. Ils ne ramassaient pas ces espèces, puisque le royaume d'Argent avait des bateaux de pêche. C'était le cas aussi à Zénor, mais ça ne l'avait pas toujours été. Ainsi, les Argentais raffolèrent des fruits de mer. Ne désirant pas que ça devienne un plat privilégié du château, je commençai à en montrer la pêche à des femmes ayant à peine de quoi nourrir les petites bouches à la maison. Maintenant, Eliott et Katya m'accompagnaient tous les matins, tandis que la petite Anna restait avec son père pour apprendre le combat.
Des babillages d'enfants me firent cligner des yeux doucement. Je remarquai aussitôt par les grandes portes menant au balcon que le soleil commençait à peindre l'horizon. Il faisait beaucoup plus frais à Argent qu'à Zénor, mais jamais je ne m'en plaignais. Je n'avais pas été élevée comme toutes les princesses de ce continent. J'étais probablement beaucoup plus paysanne que je pouvais être une reine, mais j'étais de sang royal, et personne ne pouvait m'enlever cela. C'était sans doute pourquoi le peuple n'avait rien dit lorsque le pouvoir politique m'avait été retiré. Ils avaient un roi compétent, ils n'avaient pas besoin d'une petite reine effacée pour simplement appuyer ses décisions. J'apportais mon aide autrement.
Les yeux toujours mi-clos, je reçus deux petits corps d'enfant dans les bras. Je reconnus rapidement l'odeur de Katya et Eliott, qui devaient être bien prêts pour leur pêche du matin. Je les serrai contre mon coeur, avant de tourner mon visage vers mon mari. Je ne l'avais pas épousé pour obtenir son royaume et devenir reine, mais simplement parce que je l'aimais à la folie. Je savais très bien que je n'avais jamais réussi à lui faire oublier complètement son petit écuyer d'Émeraude, mais je savais qu'il était très heureux, et qu'il m'aimait autant que moi.
« Tu m'as donné les plus beaux enfants du monde, râla mon époux, embrassant mes lèvres avec tendresse. Je t'aime. »
Je lui souris, fixant son magnifique visage avec amour. J'entendis la voix de Joanna, la nourrice de mes enfants, mais je ne saisis pas ce qu'elle dit, tellement j'étais absorbée par Emerick. Je savais que jamais je n'aurais pu trouver mieux comme époux. Il était aimant, généreux, un père formidable. Même si certaines rumeurs disaient qu'il s'avérait violent avec ses partenaires, jamais il ne l'avait été avec moi. Jamais. À mon égard, il était toujours empreint de douceur.
« J'ai envie d'en avoir d'autres, murmura Em, charmeur. »
Je lui fis un petit sourire moqueur, avant d'intimer à mes enfants par télépathie d'aller rejoindre Joanna aux cuisines pour leur premier repas de la journée. Je les sentis réticents, mais ils savaient très bien que je n'utilisais la magie que lorsque c'était très important. Je les serrai chacun leur tour contre mon coeur, embrassant leur front, avant de les regarder partir, se tenant les trois par la main, Eliott au milieu. Ils étaient tellement mignons... La porte se referma derrière eux, et je relevai aussitôt mon attention sur mon époux, que je plaquai brusquement contre le lit à baldaquins. Je grimpai contre ses cuisses, me penchant pour lui arracher un long et langoureux baiser.
« Alors tu vas être content d'apprendre que je suis enceinte, lui murmurais-je au creux de l'oreille. »
Comme je ne portais que rarement des vêtements moulants, et que bien souvent, j'étais déjà endormie lorsque mon mari revenait au lit le soir, il n'avait pas remarqué que mon corps avait commencé à changer. J'avais fait exprès de le lui cacher, car je devais avouer que ma dernière grossesse ne s'était pas très bien passée, et il n'était pas là. J'avais donc eu peur de porter encore des jumeaux ou alors d'avoir une grossesse à risques. Mais il n'y avait qu'un seul enfant en mon sein, et tout se déroulait très bien. La main d'Emerick se posa contre mon ventre déjà arrondi, et je vis son regard changer. Il était surpris, ou alors décontenancé.
« Je voulais être certaine que je n'aurais pas de complications, avant de t'annoncer la nouvelle, lui dis-je, avant qu'il ne parle. Mon frère Aden est venu me voir à chaque semaine afin de suivre le tout de près. C'est un petit garçon, mon amour. »
Je lui souris avec tendresse, glissant mes yeux bleus au creux de ses yeux acier. Il était très difficile de déceler les émotions sur le visage de mon époux. Il en avait toujours été ainsi. La seule qui était facile à reconnaître, c'était la joie, puisque son sourire se retrouvait à fendre jusqu'à ses oreilles. J'étais exactement à douze semaines, j'avais moi-même appris le sexe de mon enfant hier soir, lors de la visite de mon grand frère grâce à ses bracelets.